Assise derrière son bureau, la tête reposant dans la paume de ses mains, elle fixait l'enveloppe posée devant elle d'un air dubitatif. Durant quelques minutes elle resta immobile à la regarder. Si elle ne savait pas ce qu'il contenait elle ne redoutait pas moins de l'ouvrir. Déposée ici sans qu'elle ne connaisse l'expéditeur, sans que sa secrétaire ne puisse lui dire quand elle avait été emmenée, mais qui lui était indubitablement adressée si on s'en tenait au fait que son nom était très visiblement inscrit dessus. Et les courriers anonymes n'étaient jamais les plus agréables à ouvrir.
Après une grande inspiration, Elisabeth décacheta finalement cette enveloppe pour en tirer un maigre dossier. Brièvement elle parcourut la petite dizaine de feuilles qui le composait et chaque fois ses yeux s'arrêtèrent sur la photo qui se trouvait agrafée dans le coin supérieur droit. Une chose était désormais certaine : quiconque lui avait fait parvenir ceci ne l'appréciait assurément pas. Alors qu'elle s'apprêtait à faire glisser ce qu'elle tenait dans les mains directement dans la poubelle, on frappa à la porte et presque instantanément entra l'assistante de la ministre.
- Pardon de vous déranger mais il faut y aller, lui indiqua -t-elle en tapotant sa montre du bout de l'ongle pour indiquer à celle qui était attendue que le temps filait. Celle-ci jeta elle-même un regard prompt à son poignet pour constater qu'il était en effet plus que temps de monter en voiture. Il serait de très mauvais goût d'arriver en retard au studio.
- J'arrive tout de suite. Babeth se leva, enfila la paire de chaussures qui se trouvait posée à côté de son fauteuil et indiqua d'un geste de main le dossier toujours posé sur le bureau. Et débarrassez-moi de ça.
L'assistante ne chercha pas à savoir de quoi il s'agissait et d'un hochement de tête signifia à Elisabeth qu'elle n'aurait plus à le revoir. Elle sortit à la suite de son employeuse, laissant maladroitement derrière elle une page qui avait glissé sur le sol. « Wilfried Ellis, exécuté le 3 novembre 2162 pour haute trahison ».
Il était loin le temps de l’insouciance. **********
9 juillet 2144, 18 ans.Allongée sur son lit à feuilleter un magazine d'art moderne, Elisabeth Sandra Boleyn s'ennuyait ferme en ce dimanche de juillet. Régulièrement, elle levait le nez du papier glacé afin de regarder une seconde par la fenêtre avant de se replonger dans sa lecture. Les alentours de la maison paraissaient comme toujours particulièrement calmes. Située à quelques kilomètres en dehors de Londres, la demeure des Boleyn était, pour cette famille qui passait ses journées à serrer des mains et à passer des coups de téléphone, un petit havre de paix. Environ toutes les minutes elle soupirait, songeant à tous ce que ses amis faisaient d'amusant alors qu'elle restait cloîtrée chez elle. On lui avait bien proposé de venir passer une semaine à la mer mais elle avait décliné l'offre, n'ayant pas envie de rater un courrier pour cause de flemmardise aiguë sur la plage. En effet, elle était en vacances depuis plusieurs semaines et elle n'avait rien fait ou presque sinon attendre impatiemment les réponses d'universités. Mais les jours passaient et l'attente lui était de plus en plus infernale. On lui avait souvent répété qu'elle n'avait pas lieu de s'inquiéter car aux vues de son dossier académique elle serait sans doute acceptée dans une université assez bien cotée mais la jeune fille ne pouvait s'empêchait de se sentir affreusement stressée.
- Beth, une lettre est arrivée pour toi.A peine la voix de sa mère effleura-t-elle ses oreilles que déjà elle sautait sur ses pieds pour dévaler les escaliers, oubliant complètement cette œuvre très abstraite dont elle lisait l'explication. La jeune Boleyn traversa la maison en courant jusqu'à arriver dans la cuisine dans laquelle se trouvait sa mère qui lui tendit l'enveloppe. C'était lui. Ce courrier qu'elle avait tant attendu. Elle le tenait à présent entre ses mains. Alors qu'elle s'apprêtait à l'ouvrir, elle sentit l'angoisse monter en elle et la paralyser complètement. Elle jeta un regard à sa mère qui était sans doute aussi impatiente qu'elle et, après une grande inspiration, décacheta finalement l'enveloppe de ses doigts tremblants. Le silence qui régnait dans la pièce semblait électrique. Lady Dorothy Boleyn, mère presque cinquantenaire de cet unique enfant, descendante d'une vieille famille dont le titre de noblesse avait une origine légèrement douteuse, ne pouvait plus attendre. Et devant le silence de sa fille voulut lui arracher le papier des mains ce qu'elle ne parvint pas à faire puisque ladite fille fit deux pas en arrière afin d'esquiver cette tentative de vol.
- Et bien alors. Qu'est-ce que ça dit ? Elisabeth ne répondit pas tout de suite. Une deuxième, puis une troisième fois elle relut la lettre en silence avant de lever des yeux ébahis vers Dorothy.
- Je suis prise.Sans attendre une seconde de plus sa mère lui sauta au cou pour l'enlacer de toute la force dont elle était capable. Presque étouffée par cette embrassade mais incapable de bouger tant elle n'y croyait pas, Babeth laissa le papier lui glisser des mains.
- Je suis prise. En répétant cela elle sembla prendre conscience de la réalité et un immense sourire se commença à se dessiner sur ses lèvres. Un instant plus tard et elle laissait éclater un cri de joie qui retentit dans chaque recoin de la maison. Réveillant en sursaut le chien et faisant vibrer les cristaux.
- J'étais certaine que tu y parviendrais. Et ton père sera si fier de toi. Dorothy, qui avait fini par se faire repousser par sa fille, regardait sa progéniture avec un regard plein de bienveillance. Fière diplômée d'histoire de l'art, actuellement en charge du département de la Grèce ancienne du British Museum, elle avait rencontré son commissaire-priseur de mari sur les bancs d'Oxford et ne pouvait décemment rêver meilleure université pour Elisabeth. Elle en était persuadée, sa fille ferait de grandes choses.
Elisabeth Boleyn, jeune moldue qui ne voulait rien savoir des sorciers et avait toujours refusé catégoriquement de mettre les pieds à Poudlard, commençait à apercevoir ce chemin qui la mènerait au pouvoir.
18 octobre 2153, 25 ans. Kyra, 25 ans, moldue, fille d'ingénieurs, diplômée en sociologie, jeune enseignante à l'université.
Edward, 26 ans, prétendu moldu, fils de chef d'entreprise et de juriste, amateur d'investissement en tous genres, gestionnaire de patrimoine.
Gaëdic, 23 ans, moldue, progéniture d'un ministre et d'une journaliste, actuellement doctorante en sciences politiques.
Elisabeth 25 ans, moldue pure souche, produit d'un commissaire-priseur et d'une conservatrice du patrimoine, spécialiste des relations internationales, nouvellement employée comme conseillère au ministère des affaires étrangères.
Quatre profils différents, quatre carrières à venir, mais un même réseau de connaissances et cette ambition commune : devenir quelqu'un.
Aujourd'hui, ces quatre jeunes gens, qui s'étaient rencontrés durant leurs études ou juste après et qui avaient lié une sincère amitié, se retrouvaient autour d'un verre pour fêter l'embauche récente d'Elisabeth. Quelques centilitres de vin blanc à la main, celle-ci était radieuse avec son grand sourire et ses yeux brillants.
- C'est que tu vas peut-être même pouvoir nous dire ce qui se passe en Russie, lança Gaëdic entre deux cacahuètes qu'elle avalait à une vitesse folle.
- Tu pourras confirmer ma théorie avançant que ce sont les sorciers qui ont pris le contrôle du pays. Les trois jeunes femmes se tournèrent simultanément vers Edward d'un air outré bien qu'il venait d'annoncer cela sur un ton qui avait tout d’humoristique. Même à moitié saoules elles restaient capables de s'indigner devant une horreur pareille.
- Ne parle pas de malheur, lui intima Kyra en le fusillant du regard.
- Au moins ils auraient le bon goût de se cacher du reste du monde, reconnu tout de même Elisabeth du bout des lèvres. Tout comme ses amis elle détestait viscéralement tout ce avait trait à la sorcellerie, mais si jamais un État devait à être pris en griffes par ces horribles êtres dotés de pouvoirs il fallait reconnaître qu'elle préférait ne jamais en entendre parler. Il était bien assez insupportable de savoir qu'au quotidien on croisait ces sorciers, si en plus il fallait qu'elle pose les yeux sur le portrait officiel de leur dirigeant à chaque fois qu'elle se rendait dans un bâtiment officiel Babeth aurait vite fait de faire une syncope. Des sorciers... Avait-on déjà vu des êtres plus contre nature ?
- Mais ne parlons pas de ça et dis nous plutôt ce que tu vas faire avec ton premier salaire. C'est que maintenant tu vas vraiment bien gagner ta vie. Kyra, qui sentait bien que l'ambiance de fête sombrait peu à peu dans la morosité de par la simple évocation de ce sujet épineux, su redonner à la conversation un tournant beaucoup plus intéressant. Très pragmatique, l'enseignante savait en revenir aux fondamentaux quand il le fallait.
- Je vais sûrement m'acheter une nouvelle paire de Louboutin, répondit Beth en haussant les épaules, avant de finir son verre et d'en commander un énième.
- Pourtant ce serait le bon moment d'investir dans quelques actifs, fit remarquer Edward qui lui aussi gardait toujours la tête sur les épaules. A l’affût du profit il ne perdait pas une occasion de rappeler à tout le monde qu'il savait gérer un portefeuille et que la bourse n'avait aucun secret pour lui.
- Mes futures chaussures sont comme ta Rolex, reprit Elisabeth en pointant du doigt son poignet orné d'une montre qui valait au moins trois mois de salaire mensuel médian, des valeurs sûres.
Contrairement à la bourse, avec des escarpins je suis certaine de ne rien perdre à long terme. Raisonnement implacable. Deux mille livres dans des chaussures ce n'était somme toute pas grand chose quand on avait la certitude que d'ici une vingtaine d'années elles seraient de véritables pièces de collection qui vaudraient le triple. L'avantage d'avoir des parents qui passait leurs journées le nez dans les antiquités était qu'on prenait vite conscience que le temps était l'ami de celui qui voulait faire des affaires. Les quatre jeunes gens auraient pu en débattre des heures durant sur le pourquoi du comment des bottines en daim valaient mieux qu'une poignée d'action chez Danone, mais ils ne le firent pas. D'une part car l'alcool leur montait doucement à la tête pour anesthésier peu à peu leurs neurones. D'autres par car Elisabeth se leva soudain et tenta de traîner le jeune homme à sa suite bien qu'il ne semblait pas décidé à se lever.
- Aller, danse avec moi. J'adore cette chanson. En effet, se diffusait à présent dans le bar cette musique des années 20' qu'elle affectionnait tant et qui lui donnait l’irrésistible envie de se laisser aller à quelques pas de danse. Ses yeux suppliants eurent finalement vite fait de faire plier Edward qui l'attrapa par la main et se mit à la faire virevolter au rythme de ce vieux jazz endiablé.
Qu'elle se sentait bien. Fêtant sa réussite, entourée de ses deux meilleures amies et d'un homme qui ne la laissait pas totalement indifférente : que demander de plus ?
30 juin 2156, 28 ans.Un silence. Puis un vase ancien qui vint se briser contre un mur en un fracas assourdissant. L'homme se baissa et évita de peu le projectile qui lui était destiné. Edward... Ce même Edward qui quelques années auparavant lui faisait danser le charleston en riant à gorge déployée. Ce même Edward avec qui elle partageait son appartement depuis deux ans. Ce même Edward contre qui elle aimait se blottir le soir. Et cet Edward dont elle avait quelques semaines auparavant accepté la bague de fiançailles avec la joie la plus extrême. Aujourd'hui il avait fait l'erreur à ne pas commettre : lui dire la vérité.
- Beth, je t'en prie laisse-moi une chance. Il s'avança vers cette femme qui était hors d'elle et tenta de lui attraper la main. Sans succès. Car à peine l'eut-il effleurée qu'elle fit un bond en arrière et lui lança un regard plein de dégoût.
- Une chance ? Après une telle trahison ? Mais tu dois être complètement fou mon pauvre Edward. Ses mots sortaient de sa bouche avec tout le mépris sont elle était capable. Elle tournait en rond, l'air complètement perdu, sachant à peine si elle devait fondre en larmes ou le mettre dehors sans plus de cérémonial. Les deux attitudes se justifieraient sans doute.
- Enfin Babeth, ce n'est pas un drame, reprit-il tout en continuant de tenter de l'attraper alors qu'elle s'éloignait un peu plus à chaque fois qu'il faisait un pas vers elle.
Ça ne change en rien ce que je suis et surtout ça ne change pas le fait qu'on s'aime. - Pas un drame ?! Tu me mens depuis sept ans et tu as le culot de prétendre que ce n'est pas un drame... Et si moi je prétendais t'aimer après ce que tu m'as fait tu sais très bien que ce serait te mentir. Dans un élan de rage elle attrapa un autre vase -un véritable petit bijou d'art datant des Ming- et le lança de toutes ses forces dans la direction de celui qu'elle avait aimé. Encore une fois il l'esquiva ce qui eut pour effet de lui faire pousser un cri de colère, de retirer l'une de ses chaussures pour la lui envoyer dessus. Toujours sans parvenir à l'atteindre. Le lancé n'avait jamais été son fort.
- Et si tu m'avais vraiment aimé jamais tu ne m'aurais embrassé ce soir là. Elle faisait référence à cette soirée qui datait de presque trois ans déjà. Lorsque quand elle voulut rentrer chez elle après une soirée en tête à tête il la retint pour lui voler un baiser, marquant ainsi le début de leur histoire.
Tu savais très bien que je détestais les... les gens comme toi. Les gens comme lui. Pseudo euphémisme pour désigner les sorciers. Alors que pendant presque une décennie il avait prétendu être un humain tout ce qu'il y avait de plus normal il lui avait finalement avoué qu'il était doté de pouvoirs. Dans un élan de culpabilité il s'était rendu compte qu'il ne pouvait pas vivre plus longtemps dans le mensonge et lui avait tout dit. Que son père ne portait pas cette cape ridicule car il n'avait plus toute sa tête mais bien car il était particulièrement attaché à ses origines. Que sa mère réussissait ses macarons à la perfection tout simplement car sa recette nécessitait quelques coups de baguettes magiques. Qu'il n'avait pas étudié aux États-Unis comme elle le croyait mais bien à Poudlard, cette école qui mériterait selon elle d'être rayée de la carte. Et elle ne pouvait décemment pas accepter ces aveux. Elle refusait de pardonner le mensonge tout comme elle refuserait toujours de le regarder avec tendresse maintenant qu'elle connaissait la nature de sa race, de son sang.
- Je suis désolé Babeth. Mais je t'en supplie écoute moi. - Sept ans. Sept ans qu'on se connaît et tu n'as jamais trouvé le temps de m'en parler. C'était après tout le genre de chose qu'on évitait de cacher quand on était en couple. Ce genre de petit détail qui, quand on avait pour compagne une jeune femme qu'on avait élevée dans le rejet de la différence, avait tout de même une certaine importance.
- Parce que j'avais peur de ta réaction, se justifia-t-il maladroitement. J'avais peur que tu me tournes le dos. Je savais que tu m'en voudrais. Il avait bien deviné. Mais même sans avoir pris l'option divination durant sa scolarité il aurait été aisé pour n'importe qui d'affirmer que cette révélation ne serait pas accueillie les bras ouverts.
- Et bien puisque tu sais si bien anticiper mes réactions tu devrais avoir deviné qu'à partir d’aujourd’hui je ne veux plus jamais te voir. Ce n'est pas moi qui te tournes le dos, c'est toi qui as mis un terme à tout ce qu'on avait construit. Il lui avait tout simplement brisé le cœur. Parce qu'elle était follement amoureuse elle avait accepté de rester sur Londres malgré un poste prestigieux qu'on lui avait proposé en France. Elle l'avait soutenu au quotidien dans son ascension professionnelle, quitte à rester simple conseillère pour ne pas lui faire trop d'ombre. Elle s'était sacrifiée pour lui car elle était persuadée qu'elle passerait le reste de sa vie à ses côtés et aujourd'hui il était la personne qu'elle haïssait le plus sur cette terre.
C'était à partir de ce jour qu'Elisabeth Boleyn se jura que jamais plus elle ne laisserait les sentiments être une entrave à son ambition.
3 août 2160, 32 ans. La réunion du cabinet venait de se terminer et ne restait dans la salle que deux personnes. Toujours assis dans son fauteuil on trouvait Arthur Fox, actuel Premier ministre britannique, représentant du parti conservateur. En face de cet homme à l'air sympathique et détendu se trouvait, toujours debout, la chancelière de l'échiquier, appelée aussi ministre des finances, Elisabeth Boleyn. Ministre régalienne, parlementaire qui avait su trouver des appuis dans son carnet de relations bien fournis, jeune femme à l'ascension fulgurante, qui se tenait droite et souriante devant celui qui lui avait offert son poste.
- Elisabeth, vous vouliez me parler. Y aurait-il un problème ? Il ne se préoccupait qu'à moitié de la réponse de la jeune femme, trop occupée qu'il était à regarder sa montre qui lui indiquait qu'il risquait d'être bientôt en retard. Mais tout pressé qu'il était il ne pouvait pas simplement la congédier en lui demandant de revenir plus tard, des fois que ce qu'elle ait à dire soit réellement important.
- Ce n'est pas un problème à proprement parler. En réalité il s'agit d'une faveur que j'aurai à vous demander. Cela faisait quelques semaines déjà que Babeth voulait aborder le sujet avec son supérieur mais elle n'avait jusque-là pas encore eu l'occasion de lui en parler en privé.
- Dites-moi donc. Quelque peu agacé, le premier ministre lui fit comprendre d'un geste de main qu'il lui faudrait aller à l'essentiel car il avait autre chose à faire. Quelque chose sans doute beaucoup plus importante que de satisfaire les caprices de sa jeune ministre. Car quand bien même elle était parfaitement compétente, il n'en restait pas moins qu'elle avait la tendance à exiger beaucoup. Entre un garde du corps supplémentaire, deux secrétaires par ci, trois stagiaires par là intercalés entre quatre nouveaux conseillers qui affichait une fiche de paye à cinq chiffres, elle n'avait de cesse de faire augmenter ses dépenses personnelles pendant qu'elle prônait la rigueur budgétaire. Mais « sans une équipe compétente je ne peux arriver à rien » répétait-elle sans cesse. Et comme depuis deux ans qu'elle était à son poste il n'avait jamais eu à se plaindre d'elle il acceptait toujours, jugeant que de toute manière ce serait elle qui devrait se justifier si jamais on venait à considérer que son ministère avalait de trop l'argent des contribuables.
- Je vais être franche. Les prochaines élections approchent et je veux être présentée en tête de liste. Au moins les choses avaient le mérite d'être claires. Si limpide qu'en entendant de quoi il retournait Fox manqua de s'étouffer avant de se lever brutalement.
- Vous avez complètement perdu la tête ? Vous savez très bien que je brigue un deuxième mandat. Et à votre âge ? Ce ne serait pas raisonnable. Enfin. Je suppose qu'il s'agit simplement d'une mauvaise plaisanterie. Il se rassit en passant le mouchoir qui se trouvait dans sa poche sur son front. Mais il n'eut pas la bonne surprise de voir sa théorie de l'humour confirmée.
- Absolument pas, monsieur. Car d'une part vous savez très bien que mon âge n'est pas un problème puisque l'histoire a montré que vos fonctions pouvaient être exercées lorsqu'on avait à peine 24 ans. D'autre part, je suis, au gouvernement, celle pour qui les sondages d'opinion sont les plus favorables. Il était le propre de n'importe quel gouvernement de trouver une opposition. Mais il y avait toujours des personnalités qui étaient plus appréciées que d'autres par la population. Pour ce qui était d'Elisabeth Boleyn, on tombait souvent d'accord lorsqu'il s'agissait de louer son intégrité et son charisme. Toujours souriant lorsqu'il s'agissait de se montrer en public, on avait fini par voir en elle une personne sympathique qui en plus de bien faire son travail savait être droite dans ses bottes.
- Je veux bien admettre que les citoyens vous apprécient mais ce n'est pas une raison suffisante. D'autant que je suis loin d'être mal-aimé. Il n'avait pas tort. S'il ne faisait pas l'unanimité on ne pouvait pas dire qu'il était complètement détesté. On lui était tout au plus indifférent. Car il n'avait pas brillé par sa politique mais n'avait pas pour autant plongé le pays dans la misère. Il faisait l'affaire, voilà tout.
- Mais vous le deviendrait vite si jamais vos comptes de campagne étaient découverts. Elisabeth venait de lancer dans les bras de l'homme une véritable petite bombe. On avait beau prétendre le contraire, il était bien rare qu'un politicien soit intègre et le premier ministre ne faisait pas exception à la règle. Afin de faire financer la campagne de son parti il avait usé de méthodes peu orthodoxes. La chancelière le savait, possédait les preuves nécessaires à le faire inculper, et venait de lui faire clairement comprendre qu'elle n'hésiterait pas à les rendre publiques.
- Seriez vous en train de... me faire chanter. Absolument. Quoique ce soit là un bien vilain mot. La jeune femme préférait considérer qu'elle mettait simplement toutes les chances de son côté.
- Oh non. Bien sûr que non. Si par malheur les quelques dossiers que j'ai à votre sujet venaient à me glisser des mains vous pensez bien que ce serait tout à fait fortuit et que je m'en voudrai beaucoup. Mais de là à l'empêcher de dormir la nuit ? Sans doute pas. Et Fox venait de le comprendre. Il n'avait plus face à lui cette gentille ministre dont le seul objectif était de bien faire son travail, mais il faisait maintenant face à une femme pleine d'ambition et qui n'hésiterait pas à trahir le secret qu'elle avait promis afin d'obtenir ce qu'elle souhaitait.
Le premier ministre semblait avoir perdu sa langue. Incapable d'aligner deux mots il se contentait de bégayer bêtement, bien conscient qu'il se trouvait maintenant face à un mur. Toute fière d'elle qu'elle était, Elisabeth ne laissa pas transparaître sa félicitée et se contenta de lancer un grand sourire à l'homme avant d'attraper son sac et de prendre le chemin de la sortie.
9 décembre 2162, 34 ans. « Je lui souhaite seulement de connaître la même fin que la célèbre « Anne » du même nom ». Phrase choc qu'on trouvait aujourd'hui en première page d'un journal national. Odieuse comparaison à cette reine à la mort tragique, détestée de ces sujets, mais pourtant encensée par l'histoire. Et si la légende familiale prétendait en effet un lien de parenté avec cette souveraine déchue, il n'en restait pas moins qu'il ne s'agissait pas d'une figure à laquelle Elisabeth souhaitait être identifiée.
L'auteur de cet affront n'était autre qu'un idiot de parlementaire qui avait toujours était farouchement opposée à la Elisabeth. Une espèce de pro sorciers travailliste, pourfendeur de l'égalité, dénonciateur de prétendus abus du gouvernement. Et malgré la censure qui avait doucement été remise en place pour éviter ce genre de désagréments, ce politicien de pacotille trouvait encore le moyen de la calomnier dans les journaux. Qu'il critique sa politique budgétaire passait encore, mais qu'il ait des propos aussi déplacés à son égard n'était plus supportable. Il était grand temps de prendre des mesures, la première étant de virer le directeur du journal pour donner sa place à quelqu'un qui saurait refuser ce genre d'éditoriaux.
Mais au-delà d'un cas particulier, il s'agissait d'un problème plus global qu'il fallait traiter. En effet, depuis quelques semaines les interviews télévisées en sa défaveur et les remarques récurrentes de ses opposants qui la jugeaient incompétente allaient bon train. Si elle avait l'appui d'une bonne partie de la population qui appréciait son sourire et ne s'intéressait au final que peu aux affaires politiques, Elisabeth craignait que les sondages ne tournent en sa défaveur si elle laissait la bride si lâche à ses non sympathisants. C'est ainsi qu'elle avait exigé qu'on aille lui trouver le meneur du parti d'opposition. Une heure après qu'elle ait requis sa présence et il était dans on bureau, non heureux d'être ici si on en croyait la tête qu'il tirait.
- Vous avez changé de bureau ? A cette remarque pour signifier sa présence, Elisabeth qui était alors assise sur le rebord de sa fenêtre en train de fixer la rue fit un quart de tour pour lui faire face, sans pour autant lever ses fesses de son siège improvisé.
- Un tableau me déplaisait dans l'autre. Cet idiot de petit bonhomme qui depuis son cadre servait d'émissaire pour le ministère de la magie insupportait. Et comme tous les efforts du monde n'avaient permis de l'arracher du mur, Elisabeth avait pris la décision de quitter le traditionnel bureau qui allait avec sa fonction pour une pièce qui se trouvait à l'autre bout du couloir. Tant pis pour la tradition puisque des conditions de travail optimales étaient une nécessité.
Mais vous vous doutez bien que je ne souhaitais pas vous parler décoration. - Évidemment. Alors puis-je demander de quoi il s'agit. Babeth aurait parié qu'il aurait deviné seul mais l'expression de son visage laissait pourtant à penser qu'il n'en était pas certain. Elle se leva donc, attrapa au vol le journal qu'elle avait laissé en évidence sur son bureau et lui tendit l'exemplaire avec en prime un haussement de sourcils.
- Je suppose que vous avez lu cet éditorial. D'un hochement de tête son interlocuteur lui indiqua qu'elle devinait bien.
Et savez vous ce qui est arrivé à l'auteur ? Non. Bien sûr qu'il ne le savait pas. Pas encore. Mais c'était non sans un certain plaisir que Babeth allait de ce pas le lui annoncer.
Des dossiers suspects ont apparemment été retrouvés chez lui. Il a donc été arrêté il y a une heure environ et va être accusé d'atteinte à la sûreté de l’État et de haute trahison. Mais je ne crois pas aux coïncidences. Il s'agissait là d'un aveu à peine déguisé. Ce que femme veut femme a : elle souhaitait qu'on se débarrasse de cet homme et voilà qu'il était à présent en garde à vue. Quelle police efficace elle avait !
Au vu des peines encourues je suppose que vous n'aimeriez pas qu'il vous arrive la même chose. Alors si vous voulez continuer de dormir sur vos deux oreilles je vous conseille de tenir un peu mieux vos parlementaires. Laissait-elle planer au-dessus de sa tête une menace de peine de mort récemment remise au goût du jour ? Si peu. Ou c'était tout du moins presque subtil.
- Et vous croyez que vos menaces m'intimident ? J'ai été élu à la chambre pour représenter la voix du peuple, par pour m'écraser devant une gamine incompétente. Quand il eut fini sa phrase cette femme qui se considérait tout sauf incompétente s'avança vers lui, sourire aux lèvres alors qu'elle bouillonnait intérieurement. Mince. Même avec une dizaine de centimètres de talons elle restait plus petite. C'était très frustrant et faisait tomber à l'eau sa tentative d'intimidation. A défaut de jouer sur sa taille il lui faudrait donc savoir user des mots pour le faire céder. Ce qui ne devrait pas être bien difficile.
- Votre épouse soutient-elle votre position ? La question n'avait à première vue pas grand chose à voir avec la conversation mais Elisabeth avait pourtant une petite idée en tête. Après tout il était rare que la famille ne soit pas un point faible.
- Que vient-elle faire dans cette histoire ? - Elle travaille dans le monde de la finance il me semble... Ce serait dommage que quelqu'un l'accuse subitement de détournement de fonds. Sa carrière serait finie et la vôtre aussi par la même occasion. Objectif atteint. Le visage jusqu'alors fermé de son interlocuteur se décomposait doucement, lui signifiant qu'il allait maintenant se décider à prendre un minimum au sérieux la première ministre. Exit la gamine, elle était désormais une femme de pouvoir et en avait parfaitement conscience.
**********
Une quarantaine de minutes plus tard et elle arrivait, entourée de toute un équipe de conseillers et de trois gardes du corps, au studio de la télévision nationale. Pendant qu'elle était assise face à un miroir et qu'une maquilleuse s'occupait à lui donner l'air le plus rayonnant possible -ce qui n'était pas une mince à faire vue ces cernes causées par le manque de sommeil- on lui répétait mille et une recommandations concernant la posture qu'elle devrait avoir et le discours qu'il lui faudrait tenir. La première ministre écoutait tout cela d'une oreille abstraite, sachant déjà parfaitement comment elle devait se comporter. A peine eut-elle eu le temps de scruter son visage dans le miroir avant de vérifier qu'elle était bien présentable que déjà son assistante lui tapotait l'épaule pour attirer son attention.
- Vous êtes à l'antenne dans trois minutes. Beth acquiesça et se leva pour tenter de se frayer un chemin parmi tous ceux qui l'entouraient.
- N'oubliez pas, il faut que vous paraissiez détendue, recommanda une dernière fois le pro de la communication qui la suivait partout et tout le temps.
- Je le sais, merci. A force qu'on le lui répète elle l'avait plutôt bien intégré. Et puis elle ne manquait pas de travaux pratiques.
Quelques pas plus loin et elle arriva sur le plateau de l'émission. La présentatrice vint vers elle pour lui serrer la main et lui proposer de s'asseoir face à elle. Ce qu'elle fit, après avoir été saluer les deux journalistes qui seraient chargés de lui poser les questions. Une fois sur sa chaise, elle eut le temps de se laver les mains encore deux fois avec une solutions antiseptique, de revêtir son plus beau sourire, et la caméra se mettait déjà à tourner.
Il s'agissait aujourd'hui de cette interview qu'elle donnait une fois tous les six mois. Une sorte de grosse échéance qui la mettait face à face avec les citoyens mais qui pourtant ne l'angoissait pas, ou peu. Après tout elle connaissait personnellement les journalistes et connaissait à l'avance le contenu de ce qui lui serait posé. Et non, il ne s'agissait pas de tronquer la réalité mais simplement d'anticiper et d'éviter de se trouver embarrassée.
Ne restait plus qu'à espérer que cette masquarade ne durerait pas trop longtemps. C'est qu'elle avait autre chose à faire. Rencontrer discrètement une certaine reine des vampires, par exemple. Car quand on s'attaquait à la grande oeuvre qu'était celle de libérer la Grande-Bretagne du fléau sorcier, on ne disait jamais non à un peu d'aide !