Septembre 2163.

Stupide soirée. Genre de réception obligatoire car prouvait à tous que la Grande-Bretagne était une grande nation qui savait recevoir, mais qui se transformait vite en une véritable corvée. Serrer des mains moites. Saluer poliment des opposants. Faire semblant de s'intéresser aux petits-enfants de la baronne Untel ou aux vacances à l'étranger du sieur Chose sous prétexte qu'ils étaient d'importants soutiens financiers. Sourire à cet ambassadeur et lui assurer que dès demain elle se pencherait sur le dossier du Zimbabwe. Le genre de corvée qu'on faisait néanmoins avec le sourire lorsqu'on était première ministre. Il y avait ce soir du monde dans cet écrin qu'était le palais de la famille royale. Beaucoup de monde. On pourrait croire que la foule permettait d'éviter ceux qu'on ne voulait croiser, mais c'était totalement faux tant ils étaient nombreux. Prenez l'exemple de cette idiote de femme d'avocat, qui n'était là que grâce à son escroc et richissime de mari, et qui croyait pouvoir adresser la parole à tout le monde et se bourrer de petits canapés en toute impunité. D'ailleurs là voilà qui arrivait, avec sa coupe de champagne déjà vide à la main et ses dents trop longues découvertes. Mais tout de même, elle n'irait pas jusqu'à aborder cette Elisabeth qui venait de réussir non sans difficulté à se débarrasser de ce jeune conseiller plein de fougue, et plutôt compétent, mais relativement imbuvable avec ses discours écologistes sans fin. Eh bien il fallait croire que les cons osaient tout. Après tout ne disait-on pas que c'était à cela qu'on les reconnaissait ?

« Elisabeeeeth, j'aime beaucoup vos chaussures. »
Et c'était qu'elle se permettait de l'appeler par son prénom. Quelle idiote. Elles s'étaient parlé tout au plus une fois et cette bonne femme avait le culot de l'interpeller au milieu d'une foule de personnalités en tous genres. La ministre fut un instant sérieusement tentée d'appeler la sécurité afin qu'on la débarrasse de ce nuisible, mais elle se ravisa bien sûr et, après une grimace de dégoût, l'accueillit avec un sourire forcé mais qui à force de pratique paraissait tout à fait naturel.

« Merci. » « Moi aussi je les adore. Par contre les votre sont monstrueusement affreuses », aurait-elle été tentée d'ajouter. Elle n'en fit rien et se contenta d’acquiescer de la tête. Et non. Il était hors de question que Babeth s'abaisse à lui retourner un compliment. Après tout cette femme à la voix criarde vers qui les regards s'étaient soudain tournés tant elle avait une capacité à se donner en spectacle n'avait en rien un caractère important. Et si elle n'avait au quotidien pas de problème de conscience lorsqu'il s'agissait de mentir, ce serait tout de même frôler le crime que de lui dire que cette horreur de robe verte qui la boudinait la mettait en valeur. Un teckel dans un tutu aurait eu plus de classe.
« Vous m'excuserez, il faut absolument que j'y aille. » Elle pointa du doigt une direction au hasard et se hâta de partir.

Elle tentait à présent de se frayer un chemin à travers la foule. En jeune femme bien élevée qu'elle était, en aucun cas elle ne bousculait mais tentait plutôt de se glisser habilement entre toutes ces personnes qui gravitaient autour des tables pleines de petits fours. Mais avancer lorsque tous les deux mètres quelqu'un nous arrêtait et voulait à tout prix nous parler d'une chose prétendument urgente n'était pas chose aisée. Et sans doute aurait-elle fini par s'arrêter pour discuter quelques minutes avec n'importe quel individu doté d'une intelligence moyenne et pas trop embêtante si elle n'avais pas aperçu dans la foule une jeune femme à laquelle il fallait qu'elle songe sérieusement à parler. En effet, Elisabeth venait de reconnaître non loin d'elle Charlotte de Kent, princesse d'Angleterre qui bientôt allait s'envoler pour l'Irlande. Sans grande gêne -mais tout était plus facile lorsqu'on en été dépourvu- elle eut vite fait d'arriver près d'elle.

« Bonsoir votre altesse. » Elle gratifia la demoiselle d'un simple hochement de tête respectueux. L'appeler par son titre écorchait déjà la langue de celle qui avait toujours cherché à affaiblir le pouvoir de la famille royale, se mouvoir dans une politesse excessive et hautement hypocrite aurait donc été beaucoup trop lui demander.
« Comme toujours une agréable soirée, n'est ce pas. Vous êtes d'ailleurs très élégante. » Un brin de flatterie ne faisait par ailleurs jamais de mal. D'autant que ce n'était ici pas faux.

« Pourrais-je vous parler un peu à l'écart ? » Elle pointa du doigt la porte close située à quelques mètres d'elles, qui menait à un salon calme car fermé au public. Cette réception était l'occasion rêvée pour échanger quelques mots avec Charlotte. Car en toute objectivité, il aurait été impossible que la princesse, ou tout du moins sa famille, accepte une convocation formelle.

Le palais royal était en fête, ce qui était tout le contraire de la princesse. Cette bande d’hypocrites véreux étaient en train de fêter son départ pour l’Irlande quoi ! Si elle se forçait de ne pas faire ouvertement la gueule, Charlie avait quand même un air revêche et pas très agréable. Elle ne voulait pas partir en Irlande. Elle en avait déjà assez qu’on s’incline devant elle pour lui présenter des félicitations peu sincères. Franchement, il n’y a personne pour lui présenter des condoléances, plutôt ? Ce serait tellement mieux que des félicitations ! Le bruit des conversations l’étourdit, l’ennuie, elle préférerait être très loin d’ici, juchée sur Angus, son cheval noir, plutôt qu’au milieu de ces nobles enfarinés ou des roturiers assez puissants pour assister à ça. Comme le gouvernement anglais. Au bout d’une heure, Charlie en avait eu sa claque de sourire d’un air vaguement chaleureux à chaque membre du gouvernement, chaque noble qui se présentait à elle, et souriait maintenant d’une manière automatique qui n’exprimait rien du tout. Sourire protocolaire, comme dit sa mère. Elle par contre, elle ne serait pas déçue de la quitter, pas déçue du tout. La voix criarde de la femme d’un avocat attira vaguement son attention, mais elle ne daigna même pas tourner la tête. On ne s’adressait pas à elle. Aucun intérêt. Son regard à elle dodelinait plutôt vers le jardin, et elle n’attendait qu’un infime relâchement de la part de ses parents pour jouer les filles de l’air. Malheureusement ses parents savaient très bien ce qu’elle comptait faire, et ils veillaient à ce qu’elle remplisse au maximum son devoir son princesse. Princesse ! Mon œil ! Même pas héritière, on l’envoyait chez les sorciers pour une paix toute relative ! Connards …

Ce fut avec un certain fatalisme qu’elle vit le premier ministre se diriger droit vers elle. Raide, formaliste, elle s’inclina à peine en lui disant qu’elle était en beauté. Ouais d’accord, génial. Elle lui voulait quoi cette arriviste ? Charlie se fendit d’un énième sourire protocolaire, ne prenant même pas la peine d’y mettre de la sympathie étant donné que la femme n’avait pas eu cet effort de son côté non plus. Comme toujours une agréable soirée. Charlie hocha posément la tête, ne montrant pas, par miracle, tout le mépris qu’elle avait pour les cafards arrivistes rassemblés ici, ni pour le roi d’Angleterre qu’elle exécrait au plus haut point. Au moins, en Irlande, elle pourrait montrer qu’elle le déteste, ça passerait bien mieux qu’ici. Bref. Il paraissait qu’elle était très élégante. Il y avait intérêt. Une robe blanche rosée, pleine de dentelle légère. Elle avait l’impression de ressembler à une poupée de porcelaine, et c’était un peu le but de la robe, la faire passer pour un joli bibelot. Une nouvelle fois, elle hocha la tête pour la remercier sans prendre la peine de répondre. Elle n’avait nulle envie de jouer l’hypocrite avec le premier ministre, qui devait grincer les dents à l’idée de lui devoir du respect, cette femme passant le plus clair de son temps à saper le pouvoir de la royauté anglaise pour se l’accaparer. Et Charlie s’en foutait éperdument. Pas son problème. Celui de son connard d’oncle. Et finalement, le premier ministre en vint à la raison de leur conversation. Lui dire quelques mots, tout en lui montrant d’un doigt manucuré une porte menant à un salon privé. Charlie prit enfin la parole.

« Si vous voulez. »

Quoi, vous vous attendiez à des courbettes et tout ça ? Charlie, quand elle en a marre, elle ne se fait pas chier pour le montrer hein. Elle jeta un coup d’œil à ses parents qui froncèrent les sourcils de la voir partir avec le premier ministre. Eh, elle n’allait pas non plus lui refuser ça, ça aurait pu être la guerre – encore. Dingue comme les gens s’emportent à une vitesse folle. Faut contrôler votre taux d’hormones les garçons, c’est mauvais pour la santé. Refermant la porte derrière elles, Charlie alla s’asseoir dans un fauteuil blanc. Ah, enfin assise. Passer quatre heures debout pour sourire à des hypocrites qui s’empiffrent de petits fours, quelle inutilité. Sans prendre la peine de lui permettre de s’asseoir – ce n’est pas comme si le premier ministre attendait sa permission, de toute manière – Charlie releva la tête, et ses yeux inexpressifs croisèrent ceux de la femme. Elle ne l’aimait pas beaucoup. Manières trop franches, trop directes. Charlie était contre la peine de mort, ou la politique d’éloignement des sorciers. Besoin était-il de préciser qu’elle n’avait pas voté pour elle ?

« Vous vouliez me dire quelque chose ? Je vous écoute. »

[ Je t'avais complètement oublié O_O La prochaine fois tape-moi sur Skype XD ]