C'est bien simple, une fois que le soleil passe la ligne d'horizon, je m'éveille. J'aime flâner dans mon lit quelques minutes, profiter de la chaleur des draps, regarder mon téléphone, mettre de la musique, voir la lune en face de la fenêtre et me dire que la nuit ne fait que commencer et qu'une journée de travail, si l'on pouvait appeler cela comme ça, m'attendait.. Impossible de savoir s'il compte passer à la galerie aujourd'hui. Arthur avait son indépendance, sa propre entreprise de publicité. Je le voyais très peu souvent dès mon réveil, souvent partit dès que le soleil était couché. Il ne perdait pas une minute, lui qui avait vécu en bas de l'échelle tout sa vie d'humain, était maintenant monté très haut et comptait bien y rester. Moi j'allais retrouver mes tableaux, mes sculptures, ma galerie. Après une douche, je m'habillais d'une robe noire, par dessus laquelle j'enfilais un caftan de soie japonaise, une paire de collant des escarpins noirs. Je me tressais les cheveux, laissant glisser mes cheveux. Plus de sept siècles que j'arborais ce visage, beaucoup s'en serait lassé, beaucoup aurait voulu le changer, mais il restait jeune, comme lors de mes vingts ans, le temps passe, et je reste un défi à la mort à la vieillesse et la faiblesse.

Les gens qui se pensent hermétiques à l'art ne le comprennent simplement pas, n'ont pas vu le chef d'oeuvre qu'il devait voir, ceux qui méprisent l'Art n'ont rien compris. J'étais de ceux, oui, qui estimait qui s'extasiait devant le talent, qui passait des heures à regarder des tableaux, des photographies, à critiquer et à mépriser la misère culturelle. Oui, j'étais de ces gens là. Je regardais l'heure sur ma montre, soupirant, descendant les marches pour aller à la cuisine. Une cuisine, une vraie, avec de vrais aliments, mais qui restait tout de même une cuisine de façade, l'alimentation principale du Penthouse restant surtout du sang humain. Sur un des plans de travail, se trouvait mes affaires, mon sac, mon ipad, oui parce que malgré mon âge l'avancée technologique même la plus inutile devenait pour moi une source de joie. J'ouvris le frigidaire, et me contentait d'une vulgaire poche de sang, et regardant mes mails et autre rendez vous du jour.

Lorsque j'arrivais enfin à la galerie, les gens commençaient à s'exciter, à discuter, à ricaner, peu de gens connaissaient mon âge et me jugeait à mon apparence, une erreur. Je leur étais supérieure en tout, en élégance, en beauté, en tout, vous dis-je m'entendez vous ? Je balayais la salle d'un regard, donnant mon manteau à mon assistante, qui ne tardera pas à quitter les lieux puisqu'elle n'est ici que de jours. La galerie de Londres était à peu près l'équivalente de celle de Paris, malgré que j'eus une préférence pour celle de Paris. Toutes regorgeaient de tableaux d'âge révolu acquis au fil des siècles et des décennies, toute originale, datée et authentifiée, certaines de ces toiles valaient des millions, autant vous dre que les tentatives de vols étaient légions. Mais on ne me vole pas. Alors que je terminais mon analyse de la salle principale, mon regard s'arrêta sur une jeune fille qui semblait terriblement blasée par tout ceci, terriblement peu sensible à ces pièces de maître. Elle semblait perdue et hermétique à toute représentation artistique, ce qui en plus de me piquer au nerf, piqua ma curiosité. Souvent, je ne voyais pas de personne aussi fermé, et hermétique à l'Art dans ma galerie, ces personnes n'entraient pas, manque de temps, manque d'horizons, manque de perspectives. L'Art incompris existe, des gens qui ne veulent pas comprendre l'Art m'ennuie. J'étais d'humeur sociable, mais j'espère qu'elle sait où elle a mit les pieds... j'en doute, j'en doute. Je m'approchais, silencieuse, me postant à côté d'elle. Intriguée, elle avait des traits harmonieux, une beauté peu conventionnelle, mais particulièrement agréable à regarder. Ceux qui me connaissent savent parfaitement que reconnaître la beauté ne fait partie de mes techniques de ce l'on appelle aujourd'hui la drague. Je suis bien plus... entreprenante quand je souhaite quelque chose. The bird of Hermès is my name, eating my wings to make me tame

- Puis-je vous aider mademoiselle ? Vous ne semblez pas vraiment à votre place ici. demandais-je poliment, un fin sourire sur les lèvres.

« - A vrai dire je ne sais pas trop pourquoi je suis rentrée ici, pour tout vous avouez je ne suis pas ce genre d’oiseau qui fréquentent un tel lieu. »

« - Je crois être venu ici. Il y a un certains temps. » Je me gratte la nuque, ne savant pas trop de quelle manière dater. « Quelques semaines je crois, peut être plus longtemps. Un homme m’a trainée. Il est… » D’un geste de la main j’essaie de retrouver sa taille, mais cela est approximatif. « Il est… brun. Je crois. Avec des yeux bruns. Je recherche son identité. Je crois qu’il avait habitude de ce lieux, du moins il le connaissait et savait où il allait je crois. »

Je la regardais, me demandant si je l'avais déjà vu quelque part, je n'avais pas la mémoire des noms surtout les gens qui ne se démarquent pas beaucoup, mais la mémoire des visages c'était mon don à moi. Et je vous assure, qu'un visage comme le sien m'aurait marqué, elle était définitivement charmante. Elle semblait perdue, ce n'était pas vraiment mignon, c'était beaucoup embarrassant qu'autre chose. Elle ne semblait même pas savoir où elle était et tout ceci piqua ma curiosité. Elle ne définissait pas comme un oiseau à sa place par ici. Je la regardais, elle se sous estimait, elle n'avait certainement pas trouvé d'Art qui l'intéressait. J'étais bien curieuse de savoir, dans ce cas, pourquoi elle se trouvait ici, pourquoi elle avait passé la porte, pour quelle raison elle avait poussé la porte, alors que l'Art, et ma galerie ne semblait pas faire naître en elle un très grand intérêt pour les démarches créatives. Elle commença alors une description, elle disait être venue là quelques semaines plutôt avec un homme, je fronçais les yeux. J'avais pourtant convenu avec Arthur que la galerie ne devait pas être le théatre de ses frasques sexuelles et qu'aucune jeunes filles en fleurs ne devaient passer cette porte pour le chercher. Ces choses m'ennuyaient et me mettait souvent dans une colère folle. Les jeunes filles en fleurs, avec la culotte mouillée, très peu pour moi. Puis elle ajouta qu'il avait les yeux bruns. Arthur avait les yeux clairs, ce n'était donc pas lui. C'était étrange, je sentais quelque d'enfouit chez elle, mais je ne comprenais pas bien quoi. Je la regardais, me demandant comment elle pouvait croire que je pouvais me souvenir d'un visage, je n'étais là que de nuit, à cause de ma condition d'éternelle. 

Je fus accostée d'un raclement extrêmement désagréable de gorge, comme si j'étais une vulgaire vendeuse de croûte, ou de souvenirs londoniens, je fis comme si je n'avais rien entendu, car je pouvais la briser d'un coup si elle ne me montrait pas un peu de considération. Je regardais la jeune fille, qui me posait des questions alors que je ne connaissais même pas son prénom.  La femme derrière moi se fit plus insistante. Ce que je ne supportais, le manque de politesse faisait partie de ces choses qui faisait que je ne supportais pas certains clients, qui se considérait comme trop supérieur pour avoir recours à la politesse. Je me retournais vers la dame, la regardant de haut en bas, détaillant chacun des défauts de son visage, je la dévisageais ans sans aucune gêne. 

- Je suis occupée, ça ne se voit pas ? Il y a mon assistante, qui sera enchantée de répondre à vos questions sur les différentes pièces d'Art de la galerie. Merci.   expédiais-je, le plus cordialement possible, ne forçant même pas un sourire.

Je me retournais vers la jeune demoiselle. Elle avait ... oublié sa venue ici ? La personne qui l'avait amenée ici ? Je ne comprenais pas très bien, et le fait qu'elle ne me donne pas de prénom ne m'aide pas beaucoup. 

- Vous disiez... Mademoiselle ... ? J'aimerais vous aidez, mais comprenez qu'avec ma condition, je ne suis là que la nuit, et je doute que vous soyez venue avec cette personne pour une soirée.  Antonia, enchantée. Accompagnez moi, je vais vous montrez la galerie, et nous pourrons discuter.  

J'étais du genre curieuse. Et je sentais que cette rencontre n'allait pas m'apporter de désavantages, bien au contraire.  

« - Baudelaire. Ruby Baudelaire. J’étais enceinte, quand je suis venue ici la première fois. De quelques semaines à peine. »

« - J’en suis de même enchantée. »

« - Je ne sais pas trop en quoi vous pourrez m’aider. Je suis amnésique suite à un accident. Maintenant je suis à la recherche de ce passé. »

Baudelaire, Baudelaire. Voilà un nom qui m'était particulièrement familier. Elle portait le nom d'un artiste d'un poète, il y a ce poème qui dit : Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse, ainsi qu'une beauté sur de nombreux coussins, avant de s'endormir, le contour de ses seins, sur le dos satiné des molles avalanches, mourante, elle se livre au pâmoisons... Charles Baudelaire faisait partie de mes contemporains, j'avais vécu à la même époque, il fut, il est et demeurera parmi mes poètes favoris. Elle s'appelait Baudelaire, elle portait un grand nom. Etait-elle de sa famille ? Je penchais la tête sur le côté. Mes talons claquaient le sol marbré, me demandant si elle pouvait faire partie de sa descendance, il me semblait qu'il n'avait pas eu d'enfants. Elle disait qu'elle était enceinte, de quelques semaines. Autant vous dire qu'avec sa carrure, ça ne devait pas se voir beaucoup. Sachant que je ne l'avais jamais vu de mon existence... Je n'aime pas les femmes enceintes, je n'aime pas les enfants, et j'aime encore moins les enfants des autres. J'ai été enceinte, il y a des siècles de cela. Plus de sept siècles. J'eus trois enfants. Ce qu'ils sont devenus.. ? C'est une très bonne question. Le fait qu'elle fut enceinte ne devait pas beaucoup l'avancer. Elle parlait beaucoup, elle ne devait définitivement pas être de nature méfiante. Ce qui lui jouerait des tours, c'était évident. Faire confiance à Antonia Goldtein, voilà une idée bien étrange. Elle m'intriguait, certes, mais son amnésie me lasserait très rapidement, je pense.

Je n'étais pas du tout la bonne personne pour l'aider. Absolument pas. Un vampire, pour aider une amnésique, les vampires ne connaissent pas les plus de six milliards de personne qui peuple cette planète. Elle parlait, elle parlait beaucoup, elle se livrait, elle semblait chercher à me faire confiance, alors que j'étais bien la dernière personne en qui il fallait confiance.

« Ne pensez vous pas que vous confier autant à une inconnue est un peu... comment dire... trop téméraire de votre part ? »

Je continuais à marcher à côté d'elle faisant le tour de la galerie, réfléchissant à son nom. Comment avec un nom comme le sien ne pouvait elle pas s'intéresser à l'Art. L'Art c'était beaucoup de choses. J'étais septique, pourquoi devrais-je l'aider ? Ou pourrait se trouver mon intérêt dans cette histoire. Je n'étais du genre altruiste, solidaire, je trouvais que c'était des valeurs trop... sur estimées, je ne le dirais jamais assez. Et je n'étais du genre à faillir à mes grands principes, je ne faisais pas partie des gentils vampires qui regrettent leur humanité et qui aide les humains et les admire. Non, définitivement pas. Voilà presque 800 ans que je n'ai pas vu la lumière du soleil, et tout ce qui pouvait aller avec. Alors ne venez pas me parler d'humanité, ça ne m'intéresse pas. Je veux bien même être un cliché de vampire, la dernière fois que j'ai vérifié j'en étais toujours hein. Ne nous prenez pas pour des créatures qui ne sont faîtes que d'expériences et de sagesse.

« Je ne peux pas vous aider. Je ne vous ai jamais vu. Nous avons des caméras de surveillance, si vous voulez les visionner. commençais-je. « Même si je doute qu'avec votre mémoire vous vous souveniez de la date. » continuais-je « Mais je vous préviens. Ici, rien n'est gratuit. Ni l'aide, ni la solidarité. Je suis un vampire, je ne suis pas une brave humaine qui vous aidera parce que vous êtes mignonne, et perdue. Me comprenez vous ? »

Je ne suis pas le genre de personne qui étale sa vie à des inconnus. Je ne pensais pas être devenue aussi gâteuse. Racontant le moindre détail de chaque souvenir que j'arrive à capter. Pour les offrir un inconnu dans l'espoir que l'histoire va les retenir, les faire un peu plus longtemps avant qu'ils ne soient plus qu'un maëlestrome de couleurs et d'incompréhension dans mon esprit. Du moins je ne pensais pas que j'étais ce genre de personne. Une jeune femme qui a totalement conscience de qui elle est. Tu parles. La remarque de la vampire a l'effet d'un coup de poing dans l'estomac. Téméraire ? Est-ce maintenant la manière de dire correctement que je deviens gâteuse et que je suis forte agaçante avec mes histoires de femme enceinte et compagnie. Je dois bien la croire. Après tout ce ne sont pas des histoires bien gais. D'un pas léger et lent je l'accompagne à travers la galerie. Je regard d'un air plus ou moins absent les œuvres d'art. Des tableaux plus ou moins beaux, le plus généralement asse incompréhensible et où je n'arrive pas à ressentir la moindre émotion. Il est bien plus amusant d'observer les gens les regarder que de regarder les tableaux eux-même.

Je n'y croyais même plus. Pourtant elle accepte de m'apporter son aide. Au bien entendu en échange d'une compensation et elle appuie bien à ce sujet. Après tout l'humanité n'existe plus dans ces êtres froid et mort. J'ai toujours pensé que ce n'était pas le cœur qui battait dans la poitrine de l'homme qui lui donnait sa pitié et son humanité. De toute évidence je me trompais. A moins que ce soit de notre époque ? Qu'aujourd'hui on ne peut plus rien donner aux autres. Une aide n'est pas une aide, mais un échange en bonne et du forme. Un marché. L'humanité ne doit plus exister. Je suis trop innocente. Aussi je lui coupe la route et me met face à elle. Un sourcil levé. Certes, il était bien gentil qu'elle veuille me montrer des vidéos qui me seront très probablement inutiles. Peut-être que je ne suis jamais en ce lieu. Peut-être que le visage que je verrai en ma bonne compagnie ne me dira rien. Au final je serais toujours aussi seule et avec une dette envers une vampire.

« - Avant que vous m'apportiez votre aide. Je veux savoir ce que vous exigerez de moi par la suite. Vous me jugez peut-être bien téméraire, néanmoins je ne suis pas stupide pour autant.  »

La confiance que j'avais peu à peu fonder en elle a disparu comme neige au soleil. Maintenant il m'est difficile de m'assurer qu'elle est vraiment de bonnes intentions à mon égard. Qui sait ce qu'elle pourrait me demander ? Certains me diraient que c'est une bonne leçon que je viens d'apprendre, mais je n'y voyais là qu'une preuve supplémentaire que l'humanité était corrompu jusqu'à l'os et qu'on ne pouvait plus faire confiance à personne. Alors maintenant j'attend qu'elle me dise ce qu'elle attend de moi. J'ai encore des principes, il faut bien l'avouer. La recherche de mon passé a ses limites. Et parfois je me demande si c'est vraiment une bonne idée.

Je penchais la tête sur le côté, faisant une pause dans ma réflexion. J'avouais ne pas comprendre la démarche de cette demoiselle. N'avait elle pas de la famille ou des amis qui seraient bien plus apte à l'aider que moi ? Surtout que l'altruisme c'était pas mon truc. La solidarité, l'entraide, autant de concept qui m'était inconnu, et que je ne comprenais pas bien. Je suivais le sens de la marche, me demandant vraiment ce qui avait bien pu piquer ma curiosité chez cette amnésique. Je la regardais se fermer petit à petit à ma remarque, qui n'avait en aucun cas un fond méchant, peut être un peu, mais je ne l'avais pas menacée. Elle se braqua d'un coup, son visage se fit plus dur en une fraction de seconde. Que cherchait elle à faire ? Entamer un rapport de force avec moi ? J'eus un sourire particulièrement ironique. Je ne crains que depuis cette foutue grande révélation, les gens oublient très vite que la chaîne alimentaire ne se termine pas à la race humaine, mais bien à la race vampirique. Je la regardais, j'avais l'impression qu'elle s'était forgée une idée de moi, que j'avais détruite. En si peu de temps, avait-elle commencer à espérer ? Je ne suis pas une humaine, je suis encore moi, une bonne sorcière. Les bons sorciers avaient cette tendance à se sentir grand protecteur d'une race dont ils n'ont jamais, non jamais fait partie. Et qu'ils ne peuvent, selon moi, pas comprendre. Je haussais les épaules.

Elle demanda alors en quoi pourrait consister la "contrepartie". Son ton ne plaisait absolument pas. Je n'étais pas susceptible, mais je n'aimais pas son ton. Je ne me sentais pas agressé, mais je n'aimais pas son ton, c'était comme ça, impossible de la laisser me parler comme ça. Malgré ma requête j'étais restée courtoise. Même si ma requête n'était pas agréable.

«Ne vous... braquez pas de cette manière. Vous ne pensiez tout de même qu'en battant des cils vous alliez obtenir gratuitement mon aide ? Ou l'aide de qui que ce soit ?» commençais-je en me tournant vers elle. « Vous pensez vraiment qu'en ces temps, l'entraide et la solidarité sont encore des notions à la mode ? Surtout pour un être comme moi ? »

Je la regardais et commençais à rire, un rire discret. Je la regardais, quelle type d'aide ? Je n'en avais pas la moindre idée, je n'allais pas lui demander de se prostituer non plus. Peut être lorsqu'elle aura trouver qui elle était vraiment une aide serait plus... intéressante. Cette jeune femme devait avoir été sérieusement traumatisée pour en perdre toute sa mémoire. Pas le moindre visage, juste des endroits. Déroutant. Je fis glisser une mèche de cheveux derrière mon oreille, alors que je détournais mon regard, pour déporter mon attention sur l'oeuvre en face de nous. Elle affichait une étiquette réservée. Je commençais à avoir faim.

« Je ne vais rien exigez de vous. Parce que vous le ferez de votre plein gré, ce sera une contrepartie. Et pour l'instant, je n'ai pas la moindre idée de cette contrepartie. »