Anna leva le pouce en direction de sa caméra, qui lévitait dans les airs par la seule force de sa magie. Comme quoi, la magie, c’est merveilleux. Vêtue d’une robe blanche, pieds nus dans l’herbe, elle avait calé son Stradivarius contre on cou, et l’archet était prêt à se poser sur les cordes. Elle eut un sourire supérieur. Ses parents, elle le savait, regardaient ce qu’elle faisait, et s’étranglaient de rage à chaque nouveau morceau qu’elle postait, comme une injure qui leur était lancée de l’autre côté de la frontière. Leur fille leur échappait. Leur précieuse fille, qu’ils avaient élevé pendant vingt-trois ans, qu’ils avaient préparé au cérémonial de la cour  pour en faire une grande dame, cette fille-là leur échappait et faisait du violon, pieds nus dans l’herbe mouillée par la rosée du matin anglais, baignée dans la lueur féérique d’une fausse journée illuminée par sa magie. Elle avait toujours été très forte en sortilèges. Elle se mit en position. Claqua des doigts. Et alors que la caméra se mettait à tourner, obéissant docilement à son ordre, elle posa son archet sur les cordes, et commença à jouer.


C’est le 13 Décembre à 8h30 qu’Anna vint au monde. Et elle n’était pas n’importe qui. Héritière de la famille Malefoy qui s’était amenuisée au fil des siècles, elle portait sur elle l’espoir. Enfin, pas trop, étant donné qu’elle était une femme, et que c’est par les hommes que le nom se transmet. Déjà ses parents avaient coordonné sa vie. Après Poudlard, elle épouserait un noble de sang-pur, certainement un Black, ou un Nott, et elle serait une fière représentante de la Confrérie, aussi, pour rendre aux sorciers la place leur étant due.
« Tu feras de grandes choses, ma petite Anna. »
En grandissant, la placide demoiselle se plia aux caprices de ses parents. Elle apprit le chant, la danse, le piano, les langues étrangères. Elle promena sa silhouette de charmante poupée dans les couloirs de Mellow Blue Castle, s’inclinant devant le roi, la reine, les princes, les princesses, les bâtards légitimés, et tous les nobles devant lesquels ses parents s’inclinaient par intérêt ou politesse. Elle apprenait vite et bien. Un peu trop vite. Un peu trop bien. Tellement qu’elle savait déjà ce qu’elle voulait faire de sa vie, et qu’elle acceptait de se plier aux exigences de ses parents si on ne l’empêchait pas de faire ce qu’elle comptait faire.
« Je veux apprendre à jouer du violon. »
Ce fut avec ravissement que ses parents acceptèrent. Le violon, n’est-ce pas l’instrument de prédilection d’une grande dame ? Les ducs allaient se pâmer d’envie en voyant leur petite demoiselle de huit ans promener son archet sur les cordes de son violon. Inutile de dire qu’Anna n’alla jamais à l’école communale. Elle eut des professeurs, des gouvernantes, des précepteurs, et vécut seule durant les treize premières années de sa vie, jusqu’à son entrée à Poudlard.



Ses parents s’attendaient à ce qu’elle tombe à Serdaigle, ce qui les remplissait d’aise, les Serdaigle étant connus pour leur intelligence. Une fille dans la maison de l’érudition, quel plaisir, quel bonheur. Ce fut cependant à Serpentard qu’elle alla, et ses parents n’en furent pas les seuls surpris. Ceux de sa propre maison s’amusèrent de voir une demoiselle aussi placide les rejoindre et se fondre dans le moule. Son nom de famille n’attirait plus personne, mis à part les quelques rares fans des sept tomes venant lui casser les oreilles de leurs questions. Elle les envoyait balader de son regard saphir glacial. Elle ne fut pas longue à s’imposer silencieusement dans sa propre maison. Les gens apprirent vite que, si elle ne parlait pas beaucoup, son regard polaire parlait pour elle, et que si elle semblait être dépourvue de la malignité des Serpentard, celle-ci se réveillait dès qu’on s’attaquait à elle. Enfin, les Serpentard découvrirent qu’elle était musicienne. Ce fut un membre de sa maison qui la trouva, assise sous un arbre, à jouer du violon, et qui s’arrêta pour l’écouter, ayant oublié ce qu’il voulait faire au départ. Et le soir jaillit la question, qui deviendrait récurrente par la suite.
« Eh Anna, tu nous jouerais pas un petit air ? »
Placidement, la demoiselle avait obéi. Elle avait sorti son violon, et avait joué. Les quelques ricanements qui s’étaient élevés quand le Serpentard avait fait sa demande s’étaient très rapidement éteints. Et quand elle avait cessé de jouer, les Serpentard la regardaient avec stupéfaction. Les toisant de son regard indifférent, elle avait reposé son violon, et avait repris sa lecture là où elle s’était arrêtée. Mais à partir de ce moment, sa place à Serpentard changea. Elle devint la musicienne. Celle qui joue le soir dans la salle commune, des œuvres connues ou qu’elle compose elle-même. Et très rapidement, les serpents prirent l’habitude de la protéger inconsciemment, empêchant les mauvaises âmes de s’en prendre à elle ou à son violon, et se fichant éperdument du fait qu’elle soit plus attirée par les filles que par les garçons – et qu’elle ait perdu sa virginité dans les bras d’une Gryffondor de deux ans son aînée. Et tous les soirs, elle prenait son violon, s’installait au coin du feu, et jouait pour sa salle commune.



Ce fut à sa sortie de Poudlard que ses problèmes commencèrent. Ses parents lui avaient trouvé un mari. D’au moins vingt ans son aîné, ce dernier se complaisait dans la politique et les ronds de jambe aux puissants. Le genre d’hommes la faisant vomir. Sa réponse fut immédiate.
« Je ne l’épouserai pas. »
Ses parents ne l’entendirent pas de cette oreille. Cet homme était le meilleur parti d’Angleterre, juste après le roi, il était hors de question qu’un caprice d’enfant leur coupe cette opportunité. Mais Anna était intraitable. Elle ne voulait pas épouser un homme, de vingt ans son aîné, qu’elle ne connaissait pas et qui la répugnait. Sa carrière de violoniste commençait à peine, hors de question qu’une quelconque autorité supérieure vienne y mettre fin car cela ne sied guère à l’image qu’il se figure de sa tendre et douce femme. Qu’il imaginait vierge. Pauvre con. En plus elle était lesbienne. Coucher avec un homme ? Quelle horreur.
« Tu n’as pas très bien compris, Anna. Une fois mariée tu pourras faire ce que tu voudras. Du violon, de la peinture, et même … Même fréquenter des demoiselles, si tel est ton bon plaisir. »
Anna renâclait. Elle ne voulait pas abandonner sa liberté pour faire plaisir à ses parents. N’avait-elle pas son mot à dire, à la fin ? Ce que ses parents ne comprenaient pas, c’est qu’elle suivait son propre chemin. Par le plus grand des hasards, il était, pour le moment, conforme à celui tracé pour elle par ses parents. Mais il n’allait pas tarder à partir en courbe sous peu.
« De toute manière, tu n’as pas le choix. »
C’est ainsi qu’Anna Malefoy se retrouva mariée sous le nom d’Anna Selwyn et devint la femme d’un homme plus attiré par le mauvais vin que par la musique.