Le Croquemitaine. Dans l’imaginaire moldu, le croquemitaine c’est cet être caché sous le lit des enfants, qui n’attend qu’un petit bout qui dépasse pour les attirer dans son royaume de désolation. En réalité, le Croquemitaine était le plus grand bar vampirique des pays anglophones, situé quelque part à Dublin, et fréquenté par les vampires assoiffés – ou les mortels en quête de sensations fortes. Et aujourd’hui, on demandait à Charlie d’y mettre les pieds pour une inauguration, pour la tradition, pour que le nouveau membre de la famille royale d’Irlande – oui, elle, en effet – aille à la rencontre de son peuple. Au beau milieu d’un bar rempli de vampires. Autant dire que la garde du palais était sur les nerfs et qu’on craignait pour sa sécurité. Et Charlie, ironiquement, était très enthousiaste à l’idée de visiter, enfin, ce bar dont elle entendait parler depuis sa petite enfance. Un bar de vampires quoi ! Membre de l’Ordre du Phénix, Charlie partait du principe que tout le monde est égal, et ce n’est pas parce que les vampires se nourrissent de sang qu’il faut de suite les diaboliser ou l’entourer de gardes et d’armures pour assurer sa sécurité. Ils se doutent bien, les vampires, qu’elle va dans leur repaire par obligation et pas par pure envie de se faire sucer le sang, quand même. Elle avait éclaté de rire quand on avait proposé de lui enfiler une armure et s’était montrée presque agressive quand quelqu’un avait émis l’hypothèse qu’il faudrait peut-être la barder de sortilèges pour assurer sa sécurité. Personne ne lui lance le moindre sortilège. Personne. Amis sorciers, prière de ranger vos baguettes avant qu’elle ne s’en occupe en passant par un endroit non prévu à cet effet.

Dans le bar vampirique, l’ambiance était étrange. Les gens semblaient se tordre le cou pour la voir, et avec ironie, Charlie se demandait ce qui flashait le plus. La robe ouvragée digne d’une impératrice, ses cheveux roux de feu, ou les journalistes présents de partout ? Que les vampires se servent, ils ont de la bouffe à volonté, et qu’ils aient la délicatesse de commencer par ces emmerdeurs de photographe, ce serait réellement admirable. Au moins, cette fois-ci, elle ne devait plus lutter pour respirer ! Quand une demoiselle avait fait mine de s’approcher avec un corset, Charlie lui avait gentiment mais fermement ordonné de ranger ça à sa place, finissant par arguer qu’elle se foutait complètement de la mode actuelle et que sa santé passait avant le bon plaisir d’une bande de rapaces traquant les potins comme des gamins traquent des œufs de Pâques au jour donné. Le prince Sanders avait étouffé son éclat de rire derrière un toussotement à peine discret. Et elle avait échappé au corset. Et très franchement, elle ne le regrettait pas, vu l’atmosphère enfumée du bar. Fumer en intérieur, ce n’est pas interdit, normalement ? Très poliment, derrière un sourire de façade, Charlie avait serré des mains chaudes et froides, avait retenu des soupirs agacés devant les démonstrations hypocrites, se contentant d’un demi-sourire bref pour signaler qu’elle avait pris note mais qu’elle n’était pas dupe, et finalement, elle avait réussi à s’asseoir. Très droite. Très fière. Très princesse d’Irlande quoi. Et vous savez quoi ? Elle se sentait mieux ici, entourée par les vampires, qu’au château, cernée par les sorciers. Etrange, en effet.

La garde ne voulait pas s’attarder, et Charlie comprenait pourquoi. Ils devaient se sentir mal, avec autant de vampires autour d’eux, tout le monde sait que les sorciers se sentent les victimes de ces êtres immortels. Charlie, même si elle ne le montrait pas, était complètement fascinée. La grâce des vampires était incroyable. Grands, charismatiques et sûrs de leur force vu qu’ils étaient au sein même de leur place forte, et assez pleins de tact pour ne pas lui laisser l’impression d’être un petit agneau perdu dans une assemblée de loups affamés. A tel point qu’elle se sentait presque bien ici. Presque. Elle ne doutait pas une seule seconde que certains vampires devaient maintenir leur charme en éveil pour ne pas affoler les mortels rassemblés ici, raison pour laquelle elle s’était mis un garde-fou auquel elle s’accrochait mentalement pour ne pas sombrer dans la douce béatitude qui semblait régner dans le bar. Les sorciers y étaient immunisés et semblaient plus nerveux qu’autre chose. Rohlala. Alors qu’elle allait docilement obéir au chef de sa garde et quitter les lieux pour retourner au château, elle croisa un regard bleuâtre qui semblait la fixer avec une exceptionnelle passivité. Ce qui la raidit sur place, ce ne fut pas ce regard somme toute humain pour un vampire, mais la personne en elle-même. Avec toute la publicité faite par les tabloïds autour de la famille royale d’Angleterre, Charlie avait vécu entourée par les journaux, et elle reconnaissait assez la – jeune – blonde qui la fixait sans broncher. Une mannequin. Célèbre. Que Charlie avait toujours admiré pour sa grâce irréelle, son profil parfait et ses yeux de glace. Il était hors de question qu’elle rate l’occasion de saluer l’idole de son enfance. Plantant là ses gardes, elle se dirigea d’un pas royal vers la vampire – bon, en fait, sa robe est un peu trop serrée et elle a du mal à bouger ses jambes, donc ça donne un air royal, ce n’est pas foncièrement sa faute quoi – et se fendit d’un sourire pour engager la conversation.

« Excusez-moi, vous êtes Evangeline McFearsten ? C’est un honneur de vous rencontrer. J’ai toujours beaucoup aimé ce que vous faites. »

Alors qu’elles se serraient la main – et quelle main froide avait la vampire ! – les photographes se déchaînèrent. Tu m’étonnes ! Une princesse d’Irlande qui dit à une vampire super connue qu’elle aime son travail et qui lui serre la main, c’est une occasion à ne pas rater ! Le chef de sa sécurité se racla la gorge pour attirer posément son attention, faisant brièvement briller un éclat d’agacement dans les yeux ambrés de la princesse.

« Il faudrait qu’on y aille, votre altesse. »
« Déjà ? Cela me semble diplomatiquement un peu court de la part de la royauté. Dix minutes, est-ce tout ce qu’une princesse peut offrir comme présence à son peuple ? »
« Certes, votre altesse, mais nos ordres ont été très clairs, nous devons assurer votre sécurité. »
« Tentez-vous de sous-entendre que ma vie serait menacée par un quelconque danger ? »

Question épineuse. Piège. Parce que s’il répondait oui, ce qui semblait lui brûler la langue, il pourrait déclencher l’ire des vampires. Après tout les lois disent que tous les gens sont égaux et que les mortels ne doivent rien avoir à craindre des vampires, même s’ils s’aventurent dans des bars vampiriques. La reine des vampires avait elle-même insisté sur ce point, et qu’un mortel sous-entende un quelconque danger serait une erreur diplomatique que personne ne tenait à faire. Sous l’œil attentif des sorciers et des journalistes, le sorcier en charge de sa sécurité préféra s’incliner avec un demi-sourire amusé. Elle était vraiment bien assortie au prince Sanders, cette lionne indépendante. Assez contente d’être sortie victorieuse de cette petite joute et d’avoir montré aux gens qu’elle n’avait pas peur des vampires, elle se tourna à nouveau vers la mannequin, lui faisant un nouveau sourire.

« J’imagine que vous avez un agenda très chargé, aussi je ne vais pas abuser de votre temps. Je tiens juste à vous dire que c’est pour moi une chance d’avoir pu vous rencontrer. »

Un garde rembarré, un ! A sa grande surprise, ce dernier s’inclina avec un sourire, et à cet instant, elle aurait aimé être télépathe pour savoir ce qui le faisait sourire ainsi. En vérité, elle n’aurait jamais pensé que dans sa tête, le garde trouvait que la jeune princesse s’accordait parfaitement avec le prince Sanders, aussi chiant – pardon, indépendant – qu’elle. Charlie, à peu près libérée, put tourner la tête vers la mannequin vampire qui semblait très amusée par la situation. Un peu comme tous les vampires. Oser insinuer qu’elle était en danger ici, quelle folie, quand même. Elle ne comptait pas ennuyer trop la vampire. Mais quand même ! Evangeline McFearsten, la mannequin, évidemment qu’elle était obligée de lui serrer la main, cette femme s’affichait déjà à la une des magazines quand Charlie n’était qu’un petit tas rose braillard en couches-culottes ! C’est que mine de rien, ils sont intimidants ces vampires. Alors qu’elle lui disait qu’elle ne comptait pas abuser de son temps, la vampire laissa échapper un petit rire amusé avant de lui rappeler que du temps, elle en avait à foison. Qu’elle avait même l’éternité devant elle. Charlie eut une moue amusée. Ca devait être redoutablement pratique pour régler certaines petites affaires, n’empêche.

« Ca doit être exaltant de pouvoir rencontrer des gens mondialement connus et d’être toujours là pour le raconter. »

Baudelaire, Montesquieu, tous ces gens-là, quel privilège ! Enfin, les avait-elle seulement rencontrés ? Elle savait que la reine des vampires, oui, cette dernière en parlant à la télévision quand on lui posait des questions à ce sujet. La fine main de la vampire se tendit vers elle pour lui proposer un verre. Du vin ? Intéressant. Charlie accepta le verre avec un sourire, se demandant avec curiosité ce qu’il y avait dedans. Apparemment, du Cassis. Vin français, si sa mémoire était bonne. Eh, ses cours de protocole n’incluant pas l’œnologie, ne lui tenez pas rigueur de son ignorance. Histoire de ne pas passer pour une idiote, elle préféra se taire, mais fut attirée par ce que disait la mannequin. Un délice découvert à son époque. Elle fit carburer son cerveau à toute vitesse. Seizième, non, dix-septième siècle ? D’un seul coup, Charlie se sentit ridiculement jeune comparée à la vampire, avec ses vingt-sept ans tous frais. Du bout des lèvres, elle goûta ce vin que la vampire lui recommandait. Ah oui. Véritablement excellent. Même si elle ne peut visiblement plus en boire, la vampire a quand même des goûts exquis.

« C’est excellent. Du Cassis, vous dites ? Il faudra que je m’en souvienne. »

Elle but une nouvelle gorgée de son verre, appréciant la texture du vin. Dix-septième siècle. Mazette, elle n’arrivait pas à se l’enlever de l’esprit. Finalement, elle décida de détailler un peu mieux son interlocutrice, vu qu’elle ne l’avait vue que sur des magazines. Peau parfaite, yeux de cristal, blond d’or … Soit elle a activé son charme pour que Charlie soit plus réceptive, soit elle est tout simplement magnifique. Certains n’ont plus qu’à en prendre de la graine, hm. Toutes ces gamines voulant devenir mannequin, des rêves de gloire dans la tête, et qui vont sèchement se heurter à ça. Elle avait du en voir énormément, des demoiselles pensant que leur beauté surpasserait l’éclat de sa vieillesse relative et qui s’y étaient cassées les dents. Son regard s’attarda sur la robe. Légèrement rose, elle donnait à sa propriétaire un air d’innocence, comme si on se trouvait en présence d’un ange. Et rien que pour ça, Charlie décida de se méfier. Oh, un tout petit peu. Elle n’aime pas trop les gens trop parfaits, on ne sait jamais ce qu’ils peuvent demander – ou, encore pire, ce qu’ils peuvent faire.

« Vous portez une robe magnifique. »

Et elle en avait un peu marre d’échanger des banalités, la princesse d’Irlande, mine de rien. Mais bon, ce n’est pas comme si elles pouvaient parler politique dans un bar de vampires avec des sorciers et des journalistes tout autour …